LE VILLAGE
En se promenant en Corse, on remarque que les villages sont, en règle générale, pensés sur le même modèle adapté aux réalités du milieu naturel.
Peuple de montagnards, devant faire face au froid, aux invasions et à l’enclavement des villages, les corses s’établirent en petites communautés, centrées sur la famille et le clan. Le mouvement commença avec les invasions barbaresques du Vème siècle. On pense ici le clan en termes de famille élargie, à savoir la famille proche et lointaine, et les amis. Ce mode d’organisation se retrouve dans l’architecture rurale : ainsi, les hautes maisons de pierre sont groupées, résultant souvent d’un accroissement des familles. Les lieux de sociabilité sont la place, le four et le lavoir. Ce mode de vie montagnard perdurera durant quatorze siècles.
Les maisons ont une architecture commune, seuls les matériaux varient d’une région à l’autre : granit dans le sud et calcaire dans la région de Bonifacio, par exemple. La maison est pensée comme un lieu de vie, centrée autour du fucone (le foyer, au sens foyer d’une cheminée), qui tient lieu à la fois de salle de séjour et de lieu de réception. Le lieu, héritage de l’époque romaine et du culte des dieux lares, était dédié à la mémoire des ancêtres. Les chambres appartiennent à la sphère privée, et ne sont ouvertes que lors des naissances et des décès.
Jusqu’à une époque récente, les maisons ne présentaient aucun signe de richesse. La position sociale était alors indiquée par la situation de la maison dans le village, et sa superficie, preuve de l’importance de la famille. La donne change quelque peu au XIXème siècle, avec l’apparition du mode de vie bourgeois et le retour des familles cap-corsines au pays. Il s’agissait alors de montrer l’ascension sociale par des éléments précis tels que les ornements des façades ou le nombre de fenêtres. Les maisons d’américains, avec leurs architectures sophistiquées et inspirées des palais italiens ou des haciendas hispaniques, en sont le meilleur exemple.
LE BERGER
L’agriculture est un élément fondateur de la culture et de l’économie corses, depuis les temps anciens. L’homme a donc été amené à s’adapter à son milieu, et à fonder une société en adéquation avec cet environnement parfois hostile. Le berger illustre parfaitement ce modèle, et est devenu rapidement un personnage clé de la vie rurale. Il vit en harmonie avec la nature, quittant la montagne en hiver à la recherche de nourriture pour ses bêtes, pour revenir en été afin de faire paître ses troupeaux. Ces voyages ont, au fil du temps, dessiné l’espace de vie des villages, et explique pourquoi la plupart des communes de Corse se composent d’un village de montagne dont le territoire s’étend jusqu’à la mer. Les plages, même si elles n’abritaient autrefois qu’une bergerie, se sont par la suite développées en stations balnéaires.
Homme de la terre mais aussi voyageur, il est celui qui assure la liaison entre les différents villages. Lors des foires et fêtes qui rythmaient la vie d’autrefois, le berger apportait les nouvelles des pièves voisines et transmettait les légendes, dans une Corse encore enclavée. Les sentiers de transhumance ont également constitué au fil du temps des voies de communication.
Proche du druide des peuples celtes, le berger se faisait parfois devin, lisant l’avenir dans l’omoplate des moutons, la spalla. Le devin, pour cette raison, se dit en langue corse u spallistu. Cette tradition, ancestrale, est parvenue jusqu’à nous grâce aux études du chroniqueur Giovanni DELLA GROSSA et Petru CIRNEU.
Dans cette technique de divination, on divise l’omoplate du mouton en dix zones, chacune correspondant à un élément du paysage agro-pastoral, comme l’église, le maquis, la mer ou la forêt. Après avoir fait bouillir l’omoplate pour séparer l’os des chairs, le berger voit alors un certain nombre de taches dans le cartilage, qu’il interprète comme des signes liés à un lieu donné. Traditionnellement, les événements lus grâce à cette méthode ne touchent que la famille à qui appartenait l’animal. Enfin, le berger peut, plus rarement, lire l’avenir de la même manière, en utilisant des œufs. On l’appelle alors ovistu. L’existence rude du berger l’amène ainsi à une réflexion à la fois empirique et contemplative sur la nature qui l’entoure. Lors des foires, il révèle enfin ses talents de poète, lors de tournois d’improvisation lyrique.
LE CHANT
Basé sur la transmission orale, le chant rythme la vie rurale. On chante aussi bien les saisons que les événements heureux ou malheureux du quotidien. C’est un rite collectif, et chaque chant est codifié. Les femmes, considérées comme de véritables prêtresses du foyer en Corse, chantent ainsi les naissances avec les nanne (berceuses) et les morts avec les voceri, appelant au deuil mais aussi à la, l vendetta. D’origine gréco-latine, ils se chantent à la nuit tombée lors de la veillée funèbre. Les paroles de haine vociférées par les femmes sont reprises en chœur par l’assistance, qui brandit les armes. On commence le chant en énumérant les qualités du mort, pour rappeler à la famille ce qu’elle a perdu. Cela peut déboucher sur des situations embarrassantes. On rapporte qu’un mari volage, brutal et ivrogne était décédé. La vocératrice commença son chant, comme le veut la coutume, en disant qu’il avait été un bon mari, qu’il faisait le bonheur de son foyer etc. La veuve se leva, indignée, en disant : «Je ne savais pas que mon mari avait de telles qualités, je ne lui ai jamais connu celles là !».
Ces chants furent révélés au public par Mérimée dans sa célèbre nouvelle Colomba. Autrefois, dans chaque village, on pouvait trouver des femmes possédant un grand talent d’improvisation poétique. Leur présence aux enterrements était très recherchée, et elles formaient des jeunes filles pour prendre leur succession. Certains chants ont été retranscris, et peuvent être consultés à la bibliothèque d’Ajaccio. Mérimée a ainsi conservé le plus célèbre d’entre eux, celui de Maria Felice, de Calacuccia. La fin du Voceru sera d’ailleurs reprise par Mérimée dans Colomba :
Lasci solu una surella,
Senza cugini carnali,
Povera, orfana e zitella.
Ma per fà la to vindetta,
Sta siguru, basta anch’ella !
Que l’on peut traduire par :
D’une race si grande
Tu ne laisses qu’une sœur,
Sans cousins germains
Pauvre, orpheline, sans mari.
Mais pour te venger,
Sois tranquille, elle suffit !
Les lamenti sont un chant funèbre différent, évoquant seulement la mémoire du disparu. Ils sont chantés aussi bien par les femmes que par les hommes. Ce chant nous vient des bergers. Il se compose de trois notes représentant le sang, la douleur et la piété, qui s’entrelacent pour évoquer la tristesse et la résignation, et accompagner le défunt vers une vie meilleure. Contrairement au vocero, le lamento est l’expression d’une mort acceptée. Ces deux traditions de chants funèbres sont aujourd’hui disparues. Seules les Nanne sont encore chantées aux enfants.
Les joutes chantées se nomment en Corse chjam’è rispondi, littéralement «appel et réponse». Elles se faisaient autrefois d’une colline à l’autre, et donnaient lieu à de véritables tournois de poésie et de chants sur un thème donné.
Tous ces chants peuvent éventuellement être accompagnés d’instruments. Ils étaient à l’origine joués par les bergers, qui s’en servaient comme moyen de communication ou pour leur plaisir. Même si aujourd’hui le chant est le mode d’expression musicale prédominant et le plus connu, il ne faut pas oublier que la musique corse est riche, et compte de nombreux instruments traditionnels. Les bergers jouaient essentiellement de la flûte, taillée dans diverses écorces comme le genévrier, le figuier ou encore le châtaignier. De petite taille, cette flute s’appelle en Corse pirula, ou fischjola. La Ciallamella, quant à elle, possède une anche double, et se rapproche du hautbois médiéval. Quasiment disparue de nos jours, sa fabrication demandait une grande minutie et une bonne connaissance des propriétés du bois. Les flûtes de bergers étaient également sculptées dans des cornes de chèvre. Elle s’appelle à pivana, et certains artisans savent encore comment les fabriquer. Traditionnellement, la flûte est l’instrument des bergers, qui aimaient à composer de petites mélodies pour briser le silence de leurs longs voyages.
Cependant, lors des fêtes, les instruments à cordes étaient très utilisés. De nombreuses danses et airs traditionnels sont écrits pour ces instruments. On peut tout d’abord citer la Ceterra, mandoline Corse à seize cordes, que l’on ne trouve que dans l’île. Les rares modèles conservés ont permis à des luthiers de Pigna d’en refabriquer. Certains groupes corses l’ont depuis incorporée à leurs compositions. Pour rester dans la famille des cordes, on trouve également dans la musique corse traditionnelle de la mandoline (a mandulina) et de la guitare (a chitarra). Ces deux instruments accompagnaient les chanteurs lors des sérénades, tradition méditerranéenne séculaire qui tend à disparaître aujourd’hui. Le violon est également très utilisé, principalement sous sa forme festive, dans les danses populaires. On en joue encore beaucoup aujourd’hui, et la Corse compte même des luthiers réputés, comme ceux de Moïta, dont les violoncelles sont exceptionnels. Enfin, la musique populaire réserve également une belle part à l’accordéon (u urganetu) et à la cornemuse (a caramusa, faite avec la peau tendue des cabris) bien que ces deux derniers soient tombés en désuétude.
Les chants polyphoniques, bien connus aujourd’hui, n’étaient à l’origine chantés que par les hommes, a capella. La paghjella, chant à trois voix, se compose de la seconda (seconde, qui donne le ton), la bassa (basse) et la terza (la tierce). Si la paghjella est exclusivement profane, on chantait autrefois pour tous les événements : fêtes de village, processions religieuses, mariages etc. Tombé dans l’oubli au début du XXème siècle, le chant polyphonique bénéficie d’un second souffle en 1974 avec la création du groupe Canta u Populu Corsu (chante le peuple corse). Le groupe, en redécouvrant cette tradition ancestrale, permit au chant de retrouver sa fonction première : celle de faire parler l’âme d’un peuple. Les premiers concerts de polyphonies furent interdits, et le simple fait de chanter en langue corse était considéré comme subversif. Les groupes qui apparurent par la suite se situèrent dans la même lignée, parfois en ajoutant à la musique traditionnelle des instruments modernes, ou en empruntant à d’autres traditions. La musique corse est donc aujourd’hui au centre de la culture méditerranéenne. La musique corse fut révélée au public continental dans les années 1990. Les Nouvelles Polyphonies Corses furent ainsi récompensées par une Victoire de la Musique en 1992, et le concert d’I Muvrini à Bercy en 1996 connut un grand succès, faisant de la musique corse bien plus qu’un simple phénomène de mode.
Quelques groupe de chant corses :
Littéralement «les petits mouflons», le groupe a été créé à la fin des années 1970 par les frères Bernardini, issus de Taglio Isolaccio en Costa Verde. Leur père, Ghuliu, était également poète et chanteur, et leur premier album, I Muvrini ... ti ringrazianu, sorti en 1979, lui est dédié. Le groupe, dans les années 1980, a œuvré pour le développement de la musique en Corse. Si leurs premiers albums sont très marqués par la musique traditionnelle, le groupe a évolué, dans les années 1990, vers la world music, travaillant avec de nombreux artistes internationaux comme Sting ou MC Solaar. Dans leur album Alma, sorti en 2005, un groupe de chanteurs zoulous participe également.
A Taglio Isolaccio, le groupe a mis en place un studio d’enregistrement très moderne, afin d’aider les groupes insulaires. Récemment, les Canta U Populu Corsu y ont mixé leur dernier DVD.
Fondé par Jean-Paul POLETTI et Natale LUCIANI (décédé en 2003) dans les années 1970, les Canta sont à l’origine du renouveau du chant polyphoniquel en Corse. Leur répertoire inclut principalement des paghjelle, mais aussi des compositions personnelles, aux textes résoluments engagés et prônant le nationalisme et la préservation de la culture corse. Le groupe, très prolifique dans les années 1970, ne composa pas moins de huit albums entre 1975 et 1982. Hélàs, les luttes politiques des années 1980 mirent le projet en sommeil. Les Canta, dans un souci de promotion de la culture insulaire, donneront de nombreux concerts sur le continent, et leur musique est très appréciée en dehors de l’île. Le groupe se reforme en 1993. Tout en gardant leur style très identitaire, il incorpore désormais des compositions d’autres pays, tels que l’Irlande ou le Pays Basque. De nombreux artistes ont participé au groupe. Nous pouvons par exemple citer Jean-François BERNARDINI (I Muvrini), Petru GUELFUCCI ou encore Jean-Marie PESCE (I Chjami Aghjalesi). Jean-Paul POLETTI, quant à lui, formera le Chœur des hommes de Sartène, un ensemble de polyphonies religieuses. Les Canta sont donc un groupe incontournable pour qui veut découvrir (ou redécouvrir) la musique corse. Les albums Sintineddi et Rinvivisce peuvent être vus comme les plus accessibles et les plus représentatifs du groupe, puisqu’ils mêlent à la fois chants traditionnels et musique du monde.
Le groupe, dont le nom fait référence à l’étoile du matin, nait en 1978 avec Antonu MARIELLI, les frères Cristanu et Ghjuvan Ghjacumu ANDREANI, et Ghjuvan Francescu SICURANI. Ils se séparent en 1980, pour se reformer en 1993 sous l’impulsion d’Antonu MARIELLI, avec de nouveaux musiciens. Le groupe reprend des paghjelle traditionnelles et incorpore de nombreux instruments corses à ses créations. Ils utilisent ainsi la cetera, la pivana ou encore la ciallamella, et mêlent des danses légères à des textes poétiques plus graves. Leur dernier album en date, Donna Dea, est à découvrir absolument.
Créé à Saint Florent en 1989, le groupe est très actif dans la promotion de la culture insulaire à travers le chant polyphonique. Leur répertoire est très représentatif de la musique traditionnelle, et ils utilisent beaucoup la pivana et la ciallamella. Ils enregistrent leur premier album en 1997, après avoir remporté le premier tremplin des polyphonies de Laas. Leur association culturelle est à l’origine de nombreux concerts sur l’île.
Formé dans la région de Bastia en 1984, L’Arcusgi tire son nom de l’arquebuse utilisée dans l’armée paoline. Formé de plusieurs musiciens et chanteurs, dont le nombre varie au fil des albums et des concerts, il tire son inspiration du folklore local, de la défense de la culture corse mais aussi du soutien des peuples qui luttent pour leur reconnaissance. On trouve de nombreuses chansons en langue basque dans leur répertoire, par exemple.
Le duo, composé de Daniel VINCENSINI et José OLIVA à Bastia en 1987 est très connu sur l’île, est mélange polyphonies traditionnelles et chansons humoristiques, souvent des parodies d’airs connus. Leur macagna vise principalement les politiques et est à la fois très drôle et caustique.
Le groupe est constitué de 5 chanteurs pour lesquels la polyphonie est ce qui exprime le mieux ce qu’ils sont : des corses à l’âme empreinte de traditions ancestrales et d’une histoire étroitement liée à celle de tout le bassin méditerranéen. C’est aussi par elle qu’ils forgent leur esprit d’ouverture sur le monde en intégrant dans leur répertoire des airs de cultures différentes, glanés au rythme des voyages et des rencontres. Des chants de Sardaigne, d’Italie, de Géorgie, du Pays Basque, d’Espagne et du Portugal viennent en effet côtoyer les polyphonies corses mettant ainsi en valeur tant leurs différences que leurs origines communes..
Le mot "ricuccata" désigne les ornementations de la voix, des fioritures, des mélismes qui jouent sur des micro-intervalles nombreux et variés. Chaque chanteur a ses propres "ricuccate", et procure ainsi au chant une spécificité qui tient à son interprétation.
Le groupe « A Ricuccata » organise, depuis 2001 un festival « Canti di quì » autour de la voix et du travail réalisés par les artistes corses sur la polyphonie. Les rencontres ont lieu en l’église St Luxor et sur la place du village de Vignale en Haute-Corse.
LE CHOEUR DES HOMMES DE SARTENE. JEAN PAUL POLETTI
Au cœur de la Corse.
Chœur d’hommes de Sartène : Jean-Paul Poletti,Ténors : Jean–Louis Blaineau, Stéphane Paganelli
Barytons : Mathieu Maestrini, Jean-Paul Poletti , Basses : Jean-Claude Tramoni, Jacques Tramoni
LA LANGUE
Les spécialistes se sont longtemps posé la question des origines de la langue corse, à savoir si elle était une variante de l’italien, ou une langue originale. Si il est impossible de déterminer quelle langue parlaient les premiers habitants de la Corse il y a 8000 ans, nous pouvons cependant relever quelques noms d’origine antérieure au latin, comme par exemple a teppa (la montée) ou encore u ghjacaru (le chien, dans le Sud surtout). Le corse d’alors était apparemment un mélange de dialectes ibères, ligures et celtes.
La langue latine sera introduite en 260 avant notre ère avec la colonisation romaine, et va peu à peu remplacer l’ancienne langue. La latinisation de la Corse sera néanmoins lente et peu homogène. Ainsi, au Ier siècle avant notre ère, Diodore de Sicile écrivait : «les barbares qui habitent l’île ont une langue étrange et fort difficile à comprendre». Elle ne sera achevée qu’au Vème siècle, à la fin de la colonisation romaine. Peu à peu, comme dans le sud de l’Europe, le latin va évoluer en la langue corse proche de celle que nous connaissons aujourd’hui. Ce n’est donc ni Gênes, ni Pise qui ont importé leur langue sur l’île, même si les multiples échanges conduisent inévitablement à des ressemblances entre le corse et le toscan. En effet, au XIVème siècle et jusqu’à l’arrivée des français en 1769, la langue vernaculaire est le toscan. Les mots d’influence génoise seront des termes techniques, liés à l’administration et au commerce principalement. Les deux seules exceptions sont les dialectes parlés à Calvi et Bonifacio, d’origine ligure. Il est toutefois difficile de réaliser une étude précise sur la question, les écrits étant très rares en Corse.
Le premier texte en langue corse ne fut édité qu’au XIXème siècle. Les écrivains romantiques français et européens découvrirent la langue, et retranscriront dans leurs romans et récits de voyages certains textes de tradition orale. Nous pouvons citer par exemple les Notes d’un voyage en Corse de Prosper Mérimée, ou encore les Canti popolari della Corsica, de Niccolo Tommaseo. A la même période, les écrivains insulaires, qui avaient jusque là écrit en italien, redécouvrent la langue. Le premier périodique en langue corse, A Tramuntana, paraît en 1895 avec Santu Casanova, et sera publié jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale.
La francisation se fera au milieu du XIXème siècle, d’abord pour tout ce qui concerne l’administration en 1850, puis dans l’enseignement en 1880 avec les lois Ferry. Certains termes corses seront remplacés par des gallicismes. L’usage du corse sera frappé d’interdit, ce qui conduira rapidement à son déclin et son oubli. La redécouverte et la défense de la langue naîtront au XXème siècle, sous l’impulsion d’écrivains militants et de revues, mais ce furent les années 1970 qui verront la réhabilitation d’une langue depuis trop longtemps oubliée. La contestation politique et culturelle aboutira à une formalisation de la langue à l’université, ainsi qu’à une production de textes dans une langue autrefois majoritairement orale. La langue devient alors un symbole culturel, identitaire, et un enjeu de luttes. Elle est officiellement reconnue comme langue régionale par le décret du 16 janvier 1974. Le corse est alors enseigné à l’école, devient une option facultative au baccalauréat, et entre à l’université. On estime aujourd’hui que 30% de la population sait le parler.
Longtemps cantonnée à la tradition orale, tombée dans l’oubli, la langue corse est aujourd’hui redécouverte et présente non seulement dans la littérature et la presse, mais aussi à la radio et sur internet.
RELIGION & CROYANCES
Christianisée dès le IVème siècle de notre ère (par saint Paul d’après certains historiens), la Corse reste cependant une terre de superstitions, au cœur de laquelle foi chrétienne et croyances populaires se mêlent pour former une culture riche et originale. Ici, la foi en Dieu s’accompagne d’une grande crainte du Diable, et beaucoup de lieux naturels présentant un danger étaient supposés être d’origine diabolique. Les calanques de Piana, très escarpées, ou encore le Liamone, sont l’œuvre du Diable dans les légendes populaires.
Les mauvais esprits ainsi que les sorciers et sorcières sont également craints. Ainsi au baptême, si le Credo est mal récité, l’enfant devient sorcier, peut lire dans l’avenir et prédire les morts prochaines. Les sorciers sont appelés mazzeri, et peuvent «jeter le mauvais œil» (innochiare), parfois même de manière involontaire. Selon une croyance populaire, louer la beauté d’un enfant porte malheur par exemple. Parmi les esprits les plus présents dans les légendes, on trouve les streghe, sortes de harpies qui s’attaquent aux enfants, ou les acciaccatori, revenants attaquant les voyageurs perdus.
La foi catholique s’est affirmée en Corse au milieu du VIIIème siècle, en guise d’opposition nationale à la foi musulmane de l’occupant Maure. Le caractère national de la foi catholique perdurera tout au long de la période moderne : ainsi, en 1735, le Dio vi salve regina devient l’hymne de la Corse, plaçant l’île sous la protection de la Vierge.
La religion est très présente, et les fêtes religieuses sont encore empreintes de tradition. La plus spectaculaire est la procession du Catenacciu le vendredi saint. Elle est la plus importante à Sartène, mais trouve son origine en Espagne médiévale. La procession retrace la Passion du Christ. Le Grand Pénitent rouge, cagoulé car personne ne doit voir son visage, porte une lourde croix (plus de 30kg) et marche enchaîné, d’où son nom (a catena signifie la chaîne). Le pénitent blanc l’aide, comme Simon de Cyrène l’a fait avec le Christ. Derrière eux, les pénitents portent la statue de bois du Christ mort sur un linceul. La procession se termine par une prédication et une bénédiction de la foule.
A Calvi, les cérémonies de la semaine sainte revêtent un caractère original. Le jeudi, la Lavanda reprend le passage de la Bible dans lequel le Christ lave les pieds de ses apôtres, et le vendredi saint se déroule la procession de la Granitola : les pénitents des confréries religieuses portent à travers la ville la statue du Christ en croix suivie de celle de la Vierge. La manière dont la procession s’enroule illustre symboliquement le mystère de Pâques.
La Vierge est également très célébrée lors de l’Assomption, ainsi que les saints et martyrs de l’île (sainte Julie, martyrisée à Nonza, sainte Dévote, martyrisée à Lucciana, saint Florent, saint Roch sur la Cap et sainte Restitute en Balagne).
Parfois les cérémonies religieuses s’accompagnent de fêtes profanes : ainsi la Merendella, le lundi de Pâques, célèbre par un repas champêtre à la fois la résurrection du Christ et la fin de l’hiver. On trouve enfin beaucoup d’histoires de tableaux et de statues miraculeux, comme la Vierge de Calvi ou le Christ noir de la chapelle Sainte Croix de Bastia.
La Corse mystérieuse
Quand on s’intéresse au folklore Corse, on se rend rapidement compte que l’île possède un patrimoine légendaire très riche et varié. Homère, dans son Odyssée, fut le premier à parler de la Corse dans un cadre merveilleux, en faisant de Bonifacio le pays des Lestrygons. Par la suite, les multiples occupants de l’île importeront leur folklore, ce qui contribuera à une multiplicité des légendes. On retrouve ainsi une tradition judéo-chrétienne, avec ses saints et ses démons, qui coexiste avec un imaginaire païen encore très présent.
Les paysages mêmes de la Corse sont propices à laisser vagabonder l’imagination. Il est aisé d’imaginer ses vastes forêts sauvages peuplées d’animaux merveilleux et de fées, alors que ses paysages granitiques semblent avoir été sculptés par des ogres ou des démons.
Nous connaissons ce riche patrimoine, transmis oralement, par les chroniqueurs médiévaux comme Della Grossa, Ceccaldi et Cirneu. Plus près de nous, Mérimée puis l’exploratrice anglaise Dorothy Carrington s’intéresseront aux traditions populaires et à cet imaginaire foisonnant, où l’invisible semble jouer un grand rôle.
Le Mazzerisme
La Corse, comme le reste du monde, compte beaucoup de légendes de fées et de sorcières, plus ou moins maléfiques. Un des personnages de son folklore, cependant, est très original puisqu’il n’apparaît quasiment nulle part ailleurs : c’est le mazzeru. Nommé ainsi en raison de la masse avec laquelle il chasse, c’est un être humain ordinaire durant le jour, qui rêve d’étranges chasses lorsque tombe la nuit. Sous sa forme animale, un chien le plus souvent, il traque d’autres animaux jusqu’à l’autre rive d’un cours d’eau. Il doit tuer le premier animal, domestique ou sauvage, qu’il trouve. Après sa mort, la proie se change en l’un des villageois, qui est dès lors condamné à mourir dans l’année. Roccu Multedo, spécialiste de la question, précise même que la nature des blessures reçues par la forme animale déterminera la cause de la mort.
Le don de mazzerisme est indépendant du sexe ou du niveau social de la personne, mais il ne se transmet qu’au sein d’une même famille, le plus souvent du grand-père au petit-fils. Notons que chez les Signadore (les guérisseurs), les prières secrètes se transmettent de la même manière. Autrefois, on pensait que ce don n’appartenait qu’aux personnes mal baptisées, et on disait du sorcier qu’il «n’était pas chrétien». Aujourd’hui, cette croyance tend à disparaître. Le jeune mazzeru est ainsi «appelé» dans son sommeil par son aieul, et doit chasser sa première proie. Il n’a pas le droit de refuser, et doit ensuite former d’autres mazzeri plus jeunes. Les mazzeri chasseurs sont généralement appelés mazzeri noirs. Beaucoup d’entre eux prennent goût à ces chasses nocturnes et y retournent toutes les nuits.
Les mazzeri blancs, quant à eux, ne chassent pas, mais sauvent provisoirement les villageois de la mort. Toujours sous leur forme animale, ils rêvent qu’ils déambulent dans les ruelles de leur village. S’ils croisent quelqu’un, cela veut dire que la personne connaîtra une mort prochaine. Ils doivent alors tout faire pour l’empêcher de traverser la rivière (le cas le plus fréquent), ou d’entrer dans l’église ou le cimetière. La symbolique de la rivière, lieu de transition entre la vie et la mort, est un héritage évident de la culture gréco-romaine qui s’est développée en Corse durant l’Antiquité.
Le mazzeru est donc un être entre deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Bien qu’il accepte pleinement sa condition, il est souvent marginalisé par sa communauté, qui craint ses pouvoirs. Il n’est cependant pas considéré comme un être mauvais. Le mazzerisme, à l’instar de la magie, n’a pas vraiment de connotation morale, mais dépend de la personne qui le pratique. Si sa vie quotidienne n’est pas différente de celle des autres villageois, on note que le mazzeru a une prédilection pour les lieux sauvages. Par exemple, il choisit souvent d’aller habiter à l’écart du village, près d’un gué ou d’un col le plus souvent. Ce sont des lieux non cultivés par l’homme, donc non maîtrisés, des lieux de transition, qui transposent dans le quotidien la symbolique mystique du sorcier. Agissant en rêve, il se situe aussi entre le conscient et l’inconscient, la vie et la mort.
Dans l’espace méditerranéen, le mazzeru est donc une figure unique. Cependant, son mode d’action et son initiation le rapprochent des chamans primitifs, comme ceux que l’on trouve chez les Indiens d’Amazonie ou les peuples nomades sibériens. A l’aide de méditations, de transes, de cérémonies et de plantes spécifiques, ils parviennent à une connaissance naturelle de leur environnement. Dans Le Serpent Cosmique, Jeremy NARBY rapporte ainsi des cas de chamans devinant la maladie d’un des villageois, et soignant avec des plantes dont ils n’étaient pas sensés connaître les vertus. En Corse, Roccu MULTEDO a rencontré des mazzeri décrire des endroits qu’en théorie ils n’avaient jamais visités, et des personnes qu’ils ne connaissaient pas. Les raisons purement scientifiques de ce savoir font, encore de nos jours, l’objet de multiples spéculations. Certains parlent de plantes hallucinogènes, qui provoqueraient l’état de transe propice à de telles expériences. D’autres, cependant, voient dans le chamanisme et le mazzerisme une survivance de l’âme primitive, qui sommeillerait en tout être.
Les mazzeri, s’ils sont souvent solitaires ou marginalisés, forment entre eux une véritable société. Roccu Multedo les compare aux Benandanti du Frioul, avec lesquels ils partagent plusieurs similitudes. Les mazzeri se rencontrent plusieurs fois par an lors de chasses sauvages, comme dans la tradition celte. La nuit du 31 juillet, ils se retrouvent sur un col, et affrontent ceux de la région voisine. On retrouve ainsi l’organisation de l’espace social corse : le col, qui sépare deux vallées, servait de délimitation naturelle entre les pièves autrefois. On a gardé cette même frontière pour les actuels cantons. Dans le combat décrit précédemment, les mazzeri ne se battent pas avec leur masse traditionnelle, mais avec des asphodèles. Cette fleur, qui représentait la mort chez les grecs de l’Antiquité, pousse en de nombreux endroits de l’île. A l’issue de la bataille, les vainqueurs permettront à leur communauté de n’avoir que peu de morts durant l’année.
Hormis sa fonction principale, celle de «berger des morts», le mazzeru peut également se faire devin ou encore guérisseur. Il peut assister le signadoru quant celui-ci est aux prises avec un esprit trop puissant pour lui. Le mazzeru, être typiquement insulaire, est donc un personnage ambigu, entre deux mondes, témoin d’un paganisme atavique encore présent dans la société actuelle.
Le mazzeru, personnage typique de la société corse, a souvent inspiré les auteurs. De nombreux chercheurs se sont interrogés sur les origines et les spécificités des mazzeri. Roccu MULTEDO, dans Le mazzérisme : un chamanisme corse, fait une étude très détaillée de ces personnages, en se basant sur les multiples témoignages récoltés sur une vaste période. Il commence ainsi par citer Dorothy CARRINGTON, qui leur réserve une large place dans Granite island. Cette étude est très intéressante et part du postulat de base que le mazzeru, plus qu’un être magique, est un chaman, proche de ceux que l’on peut trouver dans des sociétés dites primitives. Il met l’accent sur les cérémonies, les croyances populaires et le savoir empirique de ces personnages. La Corse, île de granit, possède une grande énergie tellurique, ce qui rend possible le développement de telles croyances. Enfin, Roccu MULTEDO fait un bref tour d’horizon du folklore magique de la Corse, en amenant quelques pistes de réflexion.
Les romans laissent eux aussi la part belle aux mazzeri. Romans d’initiation, imprégné de la Terre et de ses mystères, La Mazzera d’André-Jean BONELLI nous entraîne dans la Corse d’antan, encore sauvage et pleine de légendes. Son héroïne, Laetizia, est une jeune fille d’Alta Rocca, qui a la lourde tâche d’hériter des pouvoirs mazzériques de son père. Son initiation, entre découverte de soi et communion avec la nature, nous entraîne à travers des forces à la fois oniriques et ataviques, qui nous effraient en même temps qu’elles nous fascinent. Dans un registre beaucoup plus surnaturel, où les légendes et le folklore ont tous un fond de vérité, le roman d’André-Jean BONELLI nous fait rêver, et on se prend à songer à cette époque reculée où l’homme et la nature vivaient en harmonie.
Sorti l’année dernière dans sa version française, www.croyances-corse.net (www.mazzeri.com pour la version corse) de Jean-Louis MORACCHINI offre une vision beaucoup plus moderne du folklore corse traditionnel. Ici, plus question de se limiter au village, c’est désormais sur internet (le «village global»...) que les mazzeri traquent leurs proies. En se basant sur l’idée que «en Corse, aucune mort n’est naturelle», ce recueil de nouvelles propose donc une remise au goût du jour très intéressante du folklore.
Marie FERRANTI, auteur très prolifique, a fait également du mazzerisme le thème principal de son roman La chasse de nuit. L’histoire se passe en 1939, alors que la guerre gronde de l’autre côté de la Méditerranée et que les villages se dépeuplent. Mattéo est mazzeru. Lors d’une chasse nocturne, il voit la mort de Petru, mais sa femme, Lisa, fera tout pour arrêter le destin. Entre elle et le mazzeru se développera une histoire faite d’amour et de haine, très complexe et cruelle.
Les Signadori
Le Signadoru (littéralement «celui qui signe») est un autre personnage très important dans la société corse. Sorcier blanc, héritier des traditions passées, il est à la fois guérisseur, exorciste et devin, à l’instar des bergers. Son rôle est très représentatif du paradigme de la société insulaire, entre paganisme et foi chrétienne.
Contrairement au mazzeru, qui vit en marge de la société, le signadoru est quant à lui très bien intégré socialement, et respecté pour sa sagesse et sa bienfaisance. Alors que les mazzeri n’ont pas vraiment à faire de choix moral, les signadori doivent être foncièrement bons, catholiques pratiquants, et ne doivent jamais utiliser leurs dons à des fins lucratives. Ils tirent leurs pouvoirs d’une longue tradition familiale. Traditionnellement, les pierres magiques se transmettent de grands-parents à petits-enfants, seulement durant la nuit de Noël. Le guérisseur ne doit sous aucun prétexte révéler ces prières à quelqu’un d’extérieur au cercle familial, faute de quoi il perdrait ses pouvoirs.
Il apprend en premier lieu à soigner en «signant» les maladies. La méthode est relativement similaire, seule la prière change. On ajoute quelquefois un ingrédient tel qu’une plante, de l’eau de source, ou encore du gros sel. A l’aide de ses prières et du signe de croix, le signadoru peut donc guérir les maladies et affection les plus courantes, telles que les brûlures, les coups de soleil, les piqûres d’insectes, mais aussi les bronchites et certains types d’infections. Si ses pouvoirs n’ont jamais été prouvés scientifiquement, force est de constater que même aujourd’hui, la majorité de la société insulaire croit en ces guérisons, et que de nombreux témoignages nous montrent que certaines maladies ont bel et bien disparu suite à une visite chez le signadoru.
En Corse, la maladie est souvent liée au mauvais sort, aux esprits malins. Le signadoru est donc tout naturellement un exorciste, qui va «signer» le mauvais sort, appelé ici l’Occhju (le mauvais œil). L’Occhju peut être le fait d’esprits malins (dans ce cas on parle plutôt d’Imbuscada), mais le plus souvent, il apparaît à cause des mauvaises pensées que quelqu’un peut avoir à notre égard. Les symptômes sont toujours les mêmes : faiblesse physique, vertiges, nausées, dépression, insomnie, difficultés à se concentrer etc.
Face à son patient, le signadoru doit d’abord vérifier s’il s’agit bien de l’Occhju. Il remplit une coupelle d’eau et l’approche du malade, et allume ensuite une lampe à huile. Le signadoru plonge le doigt dans la lampe et fait tomber les goutes d’huile dans la coupelle. Si la goutte se dilue, c’est que le patient à l’Occhju. Alors, à l’aide de prières, le signadoru continue à faire tomber des gouttelettes jusqu’à ce qu’elles restent en surface sans se diluer. Lorsqu’il y parvient, l’énergie négative quitte le malade et les symptômes disparaissent. Le signadoru, au moment où il signe l’Occhju, se fait également devin, puisqu’il peut voir dans les gouttes d’huile des événements qui influeront sur la vie de son patient.
Gardien des traditions familiales et des secrets de la tradition magico-religieuse insulaire, le signadoru est un personnage très important dans la société corse. Il apparaît très souvent dans les légendes populaires, et est le témoin d’une mémoire très riche qui est sans doute loin de disparaître.
Les Guérisseurs
De la même manière que les mazzeri et les signadori ont développé une pratique empirique de la médecine, les guérisseurs se basent sur les connaissances ancestrales de la nature, héritées de la tradition pastorale. On fait appel ici aux vertus des plantes et des pierres, plus qu’à une tradition magique. On utilise de nombreuses tisanes. Ainsi, la Nebita, plante endémique à la Corse et se rapprochant de la famille de la marjolaine, est particulièrement efficace contre les affections broncho-pulmonaires. La «mousse corse», algue également endémique, est quant à elle utilisée contre les vers. L’aubépine est très utilisée également, en tisanes, macérations ou emplâtres. Sous cette dernière forme, elle est très efficace pour soulager les entorses. Les bergers, en observant la nature et ses réactions chimiques, avaient en quelque sorte découverts le principe de la pénicilline avant l’heure : ils se servaient des moisissures de lait pour désinfecter les plaies, et cette technique se révélait très efficace. Ils avaient de même remarqué que certaines plantes réalisaient au contact de la chaleur, et que certaines préparations s’avéraient plus efficaces lorsqu’elles étaient chauffées. De nombreux emplâtres chauds sont ainsi prescrits contre les entorses, les inflammations mais aussi les furoncles et les règles douloureuses. Enfin, certains guérisseurs soignaient (et continuent de soigner) grâce au magnétisme. Autrefois considérée comme miraculeuse, cette pratique n’a rien de magique, puisqu’elle fait appel aux diverses énergies véhiculées par le corps humain. Encore décriée aujourd’hui, cette façon de soigner s’avère très efficace, parfois même plus compétente que la médecine traditionnelle dans certains cas.
Si une forme de médecine empirique existe en Corse depuis des temps très reculés, elle est néanmoins très souvent liée à la pratique magique des signadori et mazzeri, qui combinent les effets des plantes à leurs prières et rituels.
Esprits, Sorcières et diverses créatures du Folklore insulaire
L’invisible a une grande importance dans la vie quotidienne corse. Encore de nos jours, certaines superstitions sont tenaces, et nombreux sont ceux croyant à l’influence de certaines forces. On raconte beaucoup d’histoires ayant trait aux esprits, appelés ici Spiriti. C’est l’esprit d’un mort, qui revient chez lui quelques heures après son décès. Il peut rendre une dernière visite à son ancien lieu de vie, mais souvent, il a une dernière dette dont il doit s’acquitter. Il incombe donc à sa famille d’accomplir cette tâche, pour que le défunt repose en paix. Dans certaines régions, pour calmer les esprits des morts, on a coutume de laisser une coupelle d’eau devant la maison, la veille de la fête des morts. Les défunts sont sensés revenir cette nuit là, et n’apprécient pas de ne pas trouver d’eau quand ils s’arrêtent quelque part. On dit que les plus grands malheurs arriveraient à la famille qui aurait oublié de remplir ses seaux, afin d’étancher la soif des revenants.
Les Finzione ne sont pas vraiment des esprits à proprement parler, mais plutôt le double éthéré d’un être vivant, que l’on rencontre en rêve. Cette croyance renvoie directement au mazzérisme. Ainsi, on peut croiser en rêve une personne que l’on connaît. Ce type de rêve est généralement de mauvais augure, et indique la mort prochaine de la personne ainsi rencontrée sous sa forme de Finzione. On rapporte certains cas où, imitant les mazzeri, certains rêveurs auraient empêché l’apparition de traverser la rivière, lui sauvant ainsi la vie.
Mais les morts, dans nos légendes, peuvent également voyager en groupe : les Lagrimanti, encore appelés Mortuloni, aiment à errer sur les routes désertes lorsque le brouillard tombe, et malheur à qui croiserait cette procession d’âmes en peines. Vêtus de blancs à la manière d’une confrérie, un cierge à la main, ils psalmodient d’étranges litanies et cherchent à attirer les vivants dans leur procession. Le voyageur égaré ne doit pas accepter le cierge que l’un des pénitents lui tient, car il se transformerait en bras d’enfant. Pour se libérer de ce maléfice, il faudrait retrouver la procession, et rendre le cierge à son défunt propriétaire. A titre anecdotique, une ancienne superstition de bandits préconise de toujours voyager en nombre pair ; en effet, un nombre impair de voyageurs attirerait les esprits.
On parle parfois d’une bête appelée scherponchia. Selon les récits, elle apparaîtrait sous la forme d’une belette ou d’un chien portant une assiette d’or sur sa tête. La croiser assurerait la richesse éternelle. Une autre créature, le fullettu, est un esprit farceur possédant une main de plomb, et l’autre d’étoupe. Il s’amuse à lancer de l’eau au visage des dormeurs, ou encore à voler leurs couvertures. Il est plutôt difficile de le renvoyer, car il sait se rendre invisible.
Autre forme d’esprits malins, les sorcières, appelées ici Streghe, sont assez différentes de l’imaginaire populaire occidental. On les représente en Corse sous forme d’esprits vampiriques, qui se nourrissent du sang des enfants. Elles sont assez proches des Lamies de la Grèce antique. Elles n’agissent qu’à l’intérieur des maisons, par lesquelles elles s’introduisent par le trou de la serrure. Il existe de nombreux moyens pour les combattre : les amulettes en corail sont les plus utilisées, mais on se sert aussi de faucilles dentelées ou de peignes : on dit que les sorciers ne savent compter que jusqu’à sept, et qu’ils perdent leur temps à compter et recompter les dents du peigne jusqu’à l’aube au lieu d’attaquer l’enfant. Si elles enchantent les armes à feux pour qu’elles ne leur fassent aucun mal, les streghe sont sensibles aux armes blanches. Certains disent qu’il faut lui donner un nombre impair de coups de couteau pour la tuer, d’autres affirment que deux suffisent. Selon une légende, après deux coups, la sorcière hurle «un autre !». Il ne faut surtout pas lui donner pour s’en débarrasser. Pour reconnaître une sorcière, il suffit de mettre trois poignées de gros sel dans le bénitier de l’église pendant la messe. Si les sorcières sont présentes, elles ne peuvent plus bouger, et doivent renoncer à leurs activités nocturnes pour être délivrées.
L’ART RELIGIEUX, entre ROMAN et BAROQUE
LE ROMAN :
Le patrimoine corse est marqué par les invasions successives. Les pisans, à partir du IXème siècle, ont importé sur l’île l’art roman, dont nous pouvons admirer aujourd’hui les centaines d’églises et chapelles.
De cette époque date l’organisation sociale en pièves, qui perdurent de nos jours d’une certaine manière dans l’aménagement de l’espace. A la fois lieu sacré et lieu de sociabilité, l’église devient, au Moyen Âge, le centre de la vie communautaire. L’architecture est relativement simple, et a été pensé pour s’intégrer dans le paysage. Ainsi, les matériaux utilisés furent ceux disponibles dans l’île : schiste, granit etc. Les églises romanes sont de petite taille : par exemple, l’église Santa Maria Assunta, vers Mariana, ne mesure que 35 mètres. Les ornements sont simples eux aussi, basés principalement sur la nature des matériaux utilisés. L’église San Michele de Murato est ainsi pensée selon un jeu de bichromie.
Cependant, ce patrimoine est loin d’avoir survécu aux vicissitudes de l’histoire. Une bonne partie a été redécouverte au XIXème siècle, avec les travaux importants de Prosper Mérimée.
On ne trouve quasiment aucune construction de style gothique en Corse, si l’on excepte l’église Saint Dominique de Bonifacio. Néanmoins, l’île est réputée pour ses splendides constructions baroques.
On ne trouve quasiment aucune construction de style gothique en Corse, si l’on excepte l’église Saint Dominique de Bonifacio. Néanmoins, l’île est réputée pour ses splendides constructions baroques.
LE BAROQUE :
Dans toute l’Europe, le Concile de Trente redonnera à l’église sa place dans la société, de manière à faire renaître la foi, ébranlée depuis la fin du Moyen Âge. Des églises plus vastes plus richement décorées succèdent alors aux édifices romans. Dans l’île, la reconstruction des lieux de culte débutera au XVIIème siècle. La proche Italie inspire naturellement les artistes, cependant le baroque corse s’adaptera aux spécificités locales.
Dans la continuité de l’art de la Renaissance, le baroque est avant tout basé sur la symbolique, sur le langage architectural. Certains parlent même de l’art comme vecteur de communication. En effet, tout est pensé pour que le fidèle se rende compte de la puissance de l’Eglise. Cela passe par de riches sculptures, des dorures (au Moyen Âge, les pigments or étaient utilisés pour représenter la divinité), des constructions majestueuses et toujours en mouvement. L’art baroque ne concerne pas que les églises, mais également les monastères et les bâtiments publics. La liturgie devient en même temps de plus théâtralisée.
La peinture est de plus en plus présente également. En Corse, les principaux sujets peints sont l’Annonciation et l’Assomption (les débats de la contre-réforme ayant pour thème la virginité de Marie) ainsi que les saints et martyrs locaux.
Au début du XVIIIème siècle, l’art baroque devient rococo, c’est-à-dire encore plus somptueux, plus richement décoré. L’église Saint Jean Baptiste de Bastia se situe entre les deux courants, et illustre cette évolution.