LA CORSE EN 500 PAGES

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Pasquale PAOLI

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Pasquale PAOLI

«Il est encore en Europe un pays capable de législation, c’est l’île de Corse (…)
J’ai quelque pressentiment qu’un jour,
cette petite île étonnera l’Europe».

Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social.

Le «Père de la Patrie» est né en 1725 au hameau A Stretta, à Morosaglia. Son père, Giacinto Paoli, était l’un des instigateurs de l’insurrection contre Gênes, et avait été l’un des chefs de la nation sous le court règne du roi Théodore. Contraint par les Génois de quitter la Corse en 1739, Giacinto Paoli embarque pour Naples avec sa famille. Pasquale Paoli passera donc une grande partie de son enfance et de son adolescence en Italie.
        C’est ainsi qu’il s’engage à seize ans dans l’armée napolitaine, où il sert sous les ordres de son père. Homme des Lumières, il étudiera en parallèle les lettres et la politique avec le philosophe Genovesi, qui enseignait alors l’éthique à l’université de Naples. Paoli découvre à Naples toute la pensée philosophico-politique de la Renaissance, et certains diront que les théories de Machiavel auraient influencé sa façon de gérer l’état.
        En Corse, dans les années 1750, les chefs locaux tentent de s’unir face aux Génois. Il leur faut un chef, un Capu Générale di a Nazione (Général en chef de la Nation). On pense à Clemente Paoli, resté dans le Rustinu pour gérer le domaine familial, mais ce dernier, qui estime que son frère possède de plus grandes qualités, décide de le faire rentrer en Corse. Pasquale Paoli part de Naples en 1755, avant la nomination qui doit se tenir au couvent San’Antone della Casabianca, en Castagniccia. Il se présente contre Emmanuel Matra, et la Cunsulta le désigne vainqueur. Les deux familles sont désormais en lutte.
        Paoli prépare ainsi sa constitution. Influencé par la pensée des Lumières et surtout par Montesquieu, il propose un régime basé sur la souveraineté du Peuple, avec une séparation de l’exécutif et du législatif. La Diète Générale, qui représente le peuple, est élue démocratiquement, au suffrage quasi-universel : les hommes de plus de 26 ans, et les femmes sous certaines circonstances. Dans l’Europe prérévolutionnaire, cette constitution est très moderne. C’est également la première à penser à accorder le droit de vote aux femmes (en France, il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale). La Diète vote les lois et s’occupe de la fiscalité. L’exécutif, y compris le Général en chef de la Nation, est responsable devant elle. Le Conseil d’Etat représente l’exécutif, avec le Général en chef de la Nation à sa tête. Il gère la justice et l’armée.
        Une fois la Constitution promulguée, Paoli s’attache à construire la nation corse. Un état fort doit avoir une armée puissante. Ainsi, Paoli entreprend la construction d’une marine de guerre, pour perturber les activités commerciales des Génois. La flotte est mise en place suite à la Cunsulta du 10 mai 1760. Le port de l’Île Rousse est fondé en 1763, pour faire obstacle à celui de Calvi, fidèle à Gênes jusque dans sa devise.
       En 1761, une monnaie corse est créée, et est frappée à l’Hôtel corse des monnaies de Murato. On crée en même temps un papier timbré et on harmonise les prix. Les poids et les mesures seront quant à eux uniformisés en 1764. Il fallut enfin former les cadres de la nation émergente. Paoli, inspiré par les Lumières, pensait que le savoir était porteur de liberté. L’université de Corte est ainsi ouverte en 1764. Fermée après la défaite de Ponte Novu en 1769, l’université ne réouvrira ses portes qu’en 1981. Elle porte comme il se doit le nom de son fondateur, et compte aujourd’hui environ 4000 étudiants.
       Paoli veut également construire sa nation de l’intérieur. Il s’attache à éradiquer la vendetta car, selon lui, un état en construction ne peut pas se permettre d’être divisé par des luttes incessantes entre les familles. La justice paoline est particulièrement répressive sur ce point, et toute personne ayant commis des actes de vendetta est punie de mort. Sa justice se veut également impartiale, et il attache un soin particulier à supprimer l’arbitraire des tribunaux.
         C’est à cette époque que Jean-Jacques Rousseau entend parler de la constitution corse. Il parle de Paoli et de ses idées nouvelles dans sa correspondance, et c’est ainsi que l’érudit écossais James Boswell entend parler de Paoli. Recommandé par Rousseau, il arrive en Corse en 1765, à l’âge de 25 ans. La personnalité, la culture et les idées du Général en chef de la Nation fascinent le jeune homme. Il écrit un livre, Un compte-rendu de la Corse, et mémoires de Pascal Paoli, qui remporte un certain succès en Angleterre et est un des fondements du mythe paolin. L’histoire du Général s’exporte également dans les colonies américaines. Boswell veut également promouvoir la cause corse auprès du roi d’Angleterre, mais cette initiative aura des résultats relativement limités, aboutissant seulement à l’envoi de fonds pour l’achat de canons pendant la guerre d’indépendance.
       Du côté des relations diplomatiques, la tension monte entre la Corse, la France et la Sérénissime République. Gênes n’est présente qu’à Calvi et un peu à Bastia, et voit ses activités commerciales mises à mal. La France, quant à elle, doit s’assurer un débouché en Méditerranée face à la concurrence génoise et britannique. Les français entament donc une politique diplomatique en Corse à partir de 1764. Choiseul, ministre des Affaires Etrangères de Louis XV, envoyé comme émissaire, est chargé de rassurer Paoli et de le persuader que la France n’entreprend pas la conquête de l’île. Tout change en 1768, avec le traité de Versailles, par lequel Gênes cède ses droits sur la Corse à la France.
        Sur l’île, le traité est bien évidemment dénoncé par la cunsulta de Corte, et Paoli veut déclarer la guerre à ses nouveaux colons. La guerre s’annonce difficile, à cause du manque de soutien des puissances européennes, de la puissance de l’armée française, et des divisions internes. 20 000 soldats français sont ainsi envoyés en Corse. La guerre est rude, mais les corses parviennent cependant à battre les français à Borgo, en octobre 1768. Corte, capitale de la nation corse, est l’enjeu principal de la bataille. Il faut à tout prix empêcher les troupes françaises d’entrer dans la ville. Paoli a ainsi réuni l’essentiel de ses troupes, appuyées par quelques mercenaires prussiens, à Ponte Novu. La bataille finale a lieu du 1er au 9 mai 1769, et se solde par une défaite pour les corses. Paoli doit partir en exil le 14 juillet 1769. Avant d’embarquer pour Naples, il écrira : «Nos malheureux concitoyens, trompés par quelques chefs corrompus, sont allés eux mêmes au devant des fers qui les accablent». Selon lui, le manque d’unité nationale est la cause de la défaite, bien plus que la supériorité militaire de l’armée française. En analysant l’événement a posteriori, Ponte Novu peut être vu comme une lutte idéologique, entre la France de la monarchie absolue et la Corse des idées nouvelles. Le courage des troupes insulaires fera l’admiration de Voltaire, qui vantera l’esprit d’indépendance des corses et leur aspiration à la liberté lors de la bataille.
        Exilé à Naples, Paoli connaît alors le soutien et l’estime des souverains européens, qui voient en lui un héros. Le roi George III d’Angleterre lui propose de l’accueillir à Londres, où il retrouve son vieil ami Boswell, qui l’introduit dans les cercles intellectuels londoniens. Il est initié à la franc-maçonnerie en 1778, et c’est également à cette époque qu’il rencontre la seule femme de sa vie, Maria Cosway.
        Alors que Paoli commence une nouvelle vie dans le Londres des Lumières, la situation en Corse change avec la Révolution Française. En effet, les corses ne savent pas ce qu’il va advenir d’eux, si l’île sera rendue aux génois ou sera définitivement intégrée à la France. C’est la dernière solution qui est retenue par la Constituante. Un décret permet aux exilés de la guerre d’indépendance de rentrer sur l’île. Paoli arrive à Paris en avril 1790, et est accueilli en héros par les révolutionnaires parisiens. Il revient enfin en Corse en juillet 1790, mais certains se méfient, et le soupçonnent de vouloir céder la Corse à l’Angleterre. Cependant, il est élu président du Conseil général le 9 septembre, par une assemblée tenue au couvent d’Orezza. Mais la Corse est divisée entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, comme la majeure partie du territoire français. Un nouveau type de clivage vient s’additionner aux luttes ancestrales. De son côté, si Paoli soutenait l’esprit de 1789, il n’adhéra pas du tout à la Terreur qui fit, rappelons le, 300 000 morts en France. Ses idées politiques, plutôt régionalistes, sont de plus totalement opposées avec le jacobinisme centralisateur.
        Les opposants de Paoli profitent de cette situation pour l’évincer. Les Bonaparte, par exemple, se rapprochentde la Convention et espèrent le départ de Paoli. Cette tentative se solde par un échec, et ils doivent s’exiler sur le continent. Paoli, de plus en plus en rupture avec la Convention, se tourne vers l’Angleterre pour chercher des appuis solides. En 1794, il met en place avec Sir Gilbert Elliot un projet de constitution du futur royaume anglo-corse. Des élections se tiennent sur l’île en même temps que les troupes anglaises font la conquête des points stratégiques. L’amiral Nelson prend Calvi le 20 juillet 1794, et le même jour est proclamée la séparation entre la Corse et la France. Paoli signe ainsi définitivement sa rupture avec la Terreur.
        La constitution du nouveau royaume anglo-corse est une monarchie constitutionnelle classique, avec le roi George III comme souverain. Le parlement est élu au suffrage censitaire (ce qui est un recul par rapport à la première constitution de la Corse), et les libertés fondamentales sont garanties par l’habeas corpus, comme dans tout le Commonwealth. Il convient cependant de nuancer : si la constitution est très démocratique, les corses n’y ont aucun pouvoir, puisque ce sont des anglais qui sont installés aux postes-clé. Paoli lui-même n’a aucune fonction. Cette inégalité aboutit à des tensions, et l’Angleterre demande à Paoli de quitter la Corse. Il part pour son dernier exil en octobre 1795, conscient que son pays ne connaîtra plus jamais l’indépendance, et déçu par les multiples luttes intestines, qui fragilisent son unité. Depuis l’Angleterre, il écrit à ses amis, leur donnant des conseils et commentant l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Sa correspondance révèle son amour immodéré de la liberté, valeur qu’il place au-dessus de tout, quel qu’en soit le prix.
       Malade, souffrant de calculs, Paoli meurt le 5 février 1807, âgé de 82 ans. Son cénotaphe est érigé à l’abbaye de Westminster, mais ses cendres furent rapatriées en 1889 dans la chapelle de sa maison natale, à Morosaglia, qui a depuis été transformée en musée. Si Pasquale Paoli est une figure incontournable de l’histoire et du nationalisme corse, il fut également l’un des modèles de la révolution américaine, même si la majeure partie des américains l’ignore. A l’époque où les treize colonies déclarèrent leur indépendance, on suivait de très près la naissance de la nation corse dans les journaux, et Paoli était très admiré. Aujourd’hui, on trouve ainsi quelques villes portant le nom de Paoli City, ou encore Corsica. Washington citait souvent Paoli, et se serait inspiré de la constitution corse, qui présente de nombreuses similitudes avec la constitution américaine actuelle.